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Défendre les droits humains, est-ce être impartial ?

La Chronique. Mensuel d’Amnesty International, n°294, avril 2011, p. 11.


Amnesty International est une ONG qui défend les droits humains et le fait en revendiquant une impartialité. Mais défendre les droits humains, n’est-ce pas déjà être partial ? N’est-ce pas déjà prendre le parti que les humains ont des droits et qu’il faut les défendre ? Prétendre le contraire présuppose que les droits humains ne dépendent pas de préférences subjectives mais existent objectivement, et que les défendre n’est pas non plus une préférence subjective mais un devoir universel. Or, ces deux énoncés ne vont pas de soi.

Amnesty International est une ONG qui défend les droits humains et le fait en revendiquant une impartialité. Mais défendre les droits humains, n’est-ce pas déjà être partial ? N’est-ce pas déjà prendre le parti que les humains ont des droits et qu’il faut les défendre ? Prétendre le contraire présuppose que les droits humains ne dépendent pas de préférences subjectives mais existent objectivement, et que les défendre n’est pas non plus une préférence subjective mais un devoir universel. Or, ces deux énoncés ne vont pas de soi.

Les droits humains existent, si ce n’est « objectivement », au moins conventionnellement puisqu’ils font l’objet d’un grand nombre de traités internationaux qui, à l’image de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et des Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques d’une part, économiques, sociaux et culturels d’autre part (1966), sont ratifiés par l’écrasante majorité des Etats dans le monde. On ne peut donc pas dire qu’ils dépendent des préférences subjectives de chacun, puisqu’à peu près tout le monde s’entend sur leur existence.

Mais le problème est de s’entendre sur leur contenu précis, qui visiblement n’est pas compris de la même manière par tous les Etats. La Chine utilise exemplairement la scission classique entre droits « libéraux » (civils et politiques) et droits « socialistes » (économiques, sociaux et culturels), comme un prétexte pour justifier sa conception « différente » des droits de l’homme. C’est le débat fameux sur les « valeurs asiatiques » et, quoi qu’on pense des arguments chinois, le fait même que ce débat existe est la preuve que la défense des droits humains, en particulier des droits civils et politiques, est bien l’exercice d’une préférence, d’un choix de société. Ce n’est pas faire abstraction de nos valeurs, c’est au contraire les assumer et les protéger. C’est donc tout le contraire de l’impartialité.

En ce sens, les défenseurs des droits humains sont partiaux et ils doivent être fiers de l’être. Ce n’est absolument pas contradictoire avec l’impartialité que revendique Amnesty, et qui concerne sa pratique. Car il faut distinguer deux questions. D’abord celle, préalable, du fait de défendre les droits humains. Il est partial de le faire et cela fait partie de ces partialités légitimes, comme celle qui consiste à intervenir pour porter secours à quelqu’un. Ensuite celle de la manière de le faire. Il y a différentes façons de défendre les droits humains, et Amnesty souhaite le faire de façon impartiale, c’est-à-dire en étant indépendante de tout gouvernement, en n’ayant aucune appartenance politique et aucune croyance religieuse. Ce qui lui permet de faire son travail sans favoriser des parties à un conflit, des gouvernements ou des individus. En somme, défendre les droits humains, ce n’est pas être impartial, mais il est préférable, car plus efficace, de le faire impartialement.

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