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Descartes et les bornes de l’univers : l’indéfini physique

Philosophiques, 37:2, 2010, p. 299-323.


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L’indéfini cartésien, qui désigne ce dont on ne peut prouver les bornes, s’applique à deux domaines : les mathématiques et la physique. Cet article examine son application au monde physique, en deux moments. D’abord, par l’examen de l’indéfinité de l’univers, où l’on montre que l’univers cartésien n’est ni fini ni infini, mais in-défini, à la fois selon l’espace (c’est la question de l’extensio mundi) et selon le temps (c’est la question de l’éternité du monde). Ensuite, par l’examen de l’indéfinité dans l’univers, qui pose le problème de la continuité, à la fois dans l’espace (c’est la question de l’indivisibilité de la matière, c’est-à-dire de l’existence des indivisibles, ou atomes) et dans le temps, où nous défendons une interprétation continuiste et aprioriste selon laquelle le temps cartésien est continu et cette continuité n’est jamais qu’un pour soi.

La distinction cartésienne entre infini et indéfini est fameuse. L’infini est ce qui est positivement sans bornes et ne s’applique qu’à Dieu. L’indéfini, contrairement à un préjugé encore répandu, n’est pas un infini en extension, spatial, négatif, potentiel, ou quantitatif. Il doit être compris littéralement, comme in-défini, c’est-à-dire in-déterminé : il est une notion négative désignant ce dont on ne peut prouver les bornes [1]. Descartes l’utilise dans deux domaines : les mathématiques et la physique. Au premier, nous avons déjà consacré une étude, qui montre la prudence cartésienne à l’égard de la question de l’infini en mathématiques [2]. C’est le second domaine, la physique, qu’il s’agit ici d’examiner.
L’indéfini physique s’applique à l’univers et s’appréhende en lui dans deux ensembles : l’indéfinité de l’univers et l’indéfinité dans l’univers, c’est-à-dire ce qui semble respectivement infiniment grand et infiniment petit. Ce double mouvement correspond aux « deux infinités » de Pascal, qui remarque aussitôt combien la première est plus évidente à l’homme que la seconde : « Je n’ai jamais connu personne qui ait pensé qu’un espace ne puisse être augmenté », en revanche « j’en ai vu quelques-uns, très habiles d’ailleurs, qui ont assuré qu’un espace pouvait être divisé en deux parties indivisibles, quelque absurdité qu’il s’y rencontre [3] ». C’est pourquoi, selon la méthode cartésienne qui veut que l’on procède du plus simple au plus complexe, ou du plus évident au moins évident, nous commencerons par exposer l’indéfini de l’univers, qui semble infiniment grand, pour ensuite passer à l’indéfini dans l’univers, qui semble infiniment petit. Au sein de chacune des deux sections, nous diviserons encore selon l’espace et le temps.

I. Indéfinité de l’univers : l’univers n’est ni fini ni infini, il est indéfini

A. Selon l’espace : la question de l’extensio mundi

En 1634, à l’époque de Descartes, le cartographe Jean Guérard, sur sa Carte universelle hydrographique, refuse de dessiner l’inconnu : le vieux monde est tracé avec assurance, et le nouveau – ou les autres, supposés – n’ont qu’un contour partiel ou ouvert, en pointillés. Il évite ainsi et l’infini du blanc et le fini du tracé : il est indéfini, c’est-à-dire dessine un monde dont on ne peut, pour l’instant, prouver les bornes.
Descartes ne trouvera pas tout de suite la solution des pointillés et, en 1629, il se révèle alors, quoique bien conscient de sa nécessité, peu aventureux d’une réponse à la question de l’étendue de l’univers, à savoir si elle est infinie ou finie, et n’envisage d’ailleurs cette question que selon cette alternative, en se préoccupant de savoir s’il n’y a rien de déterminé en la Religion, touchant l’étendue des choses créées, savoir si elle est finie ou plutôt infinie, et qu’en tous ces pays qu’on appelle les espaces imaginaires [4] il y ait des corps créés et véritables ; car encore que je n’eusse pas envie de toucher cette question, je crois [...] que je serai contraint de la prouver [5].

L’indéfini lui apparaîtra sans doute être la meilleure solution, en lui permettant à la fois de « prouver » cette question – en prouvant qu’on ne peut la prouver – et de préserver son envie de ne point y répondre de manière binaire, par oui ou par non, c’est-à-dire par l’infini ou le fini. Dans le but d’établir que « la grandeur de l’univers est ou du moins peut être sans bornes [6] », et parce que l’indéfini n’est ni le fini ni l’infini, il faudra montrer d’une part que l’univers peut ne pas être fini, c’est-à-dire peut ne pas avoir de bornes, et d’autre part qu’il n’est pas pour autant infini.

1) Comment l’univers peut ne pas être fini : il pourrait ne pas avoir de bornes

Descartes donne au cinq raisons différentes de croire que le monde n’a point de bornes : a) en le déduisant de l’infinité même de Dieu ; b) car je ne lui en connais point de ma perception ; c) car je peux toujours lui imaginer un au-delà ; d) car des bornes impliqueraient le vide, et le vide n’est pas ; et e) car lui en attribuer contredirait la doctrine de l’immortalité de l’âme.

a) Que le monde n’ait point de bornes est déduit de l’infinité même de Dieu. Que Dieu prouve le monde, quoi de plus naturel, après tout, puisqu’il s’agit de son créateur ! On trouve ici encore cinq preuves différentes. Première preuve : car les œuvres de Dieu, dont l’univers, sont à la mesure de son infinie puissance [7]. L’argument selon lequel à l’infinie puissance de Dieu doit correspondre un univers « infini » est commun à Bruno et Descartes. Se pose donc la question de l’influence possible du premier sur le second. Mais il est bien difficile de savoir si Descartes connaissait le contenu de l’œuvre de Bruno et, plus difficile encore, s’il fut influencé par elle. Ce qui est sûr, c’est que Descartes connaissait au moins l’existence de Bruno, dont il cite une fois le nom [8].
Deuxième preuve : appliquer des bornes à l’univers reviendrait à se faire une idée trop petite du pouvoir créateur de Dieu [9]. Troisième preuve : ce serait par ailleurs aussi se faire une idée trop grande de notre compréhension : « Nous ne devons pas trop présumer de nous-mêmes, comme il semble que nous ferions si nous supposions que l’univers eût quelques limites [10]. » Quatrième preuve : cela reviendrait à « supposer que Dieu a des parties séparées les unes des autres, qu’il est divisible [11] ». C’est précisément ce que Descartes reproche à More [12]. Cinquième preuve et par voie de conséquence, les bornes qui malgré tout me semblent être ne sont certainement que dans ma pensée et non pas dans les œuvres de Dieu : « Supposons que la matière que Dieu aura créée s’étend bien loin au delà de tous côtés, jusques à une distance indéfinie. Car il y a bien plus d’apparence et nous avons bien mieux le pouvoir de prescrire des bornes à l’action de notre pensée, que non pas aux œuvres de Dieu [13]. » Descartes est sur ce point en parfait accord avec Galilée : « Juger excessive une si grande immensité est un effet de notre imagination, non un défaut dans la nature [14]. »

b) Le monde n’a point de bornes, car je n’en perçois point. Indépendamment de Dieu, le monde n’a point de bornes pour la simple raison que je ne lui en connais point de ma perception : « Il répugne à mes idées d’assigner des bornes au monde, et ma perception est la seule règle de ce que je dois affirmer ou nier. C’est pour cela que je dis que le monde est indéterminé ou indéfini, parce que je n’y connais aucunes bornes [15]. » Cet argument, qui est le plus intuitif, est aussi le plus fragile, puisqu’il est bien connu que ma perception peut me tromper : c’est d’abord elle qui est remise en cause dans Méditation I.

c) Le monde n’a point de bornes, car je peux toujours lui imaginer un au-delà. Dans la mesure où, d’une part, rien ne m’empêche d’imaginer un au-delà au monde et où, d’autre part, l’omnipotence de Dieu peut réaliser tout ce que j’imagine, le monde n’a pas de bornes – ou, plutôt, Dieu peut faire que le monde n’ait pas de bornes. « Ainsi, parce que nous ne saurions imaginer une étendue si grande que nous ne concevions en même temps qu’il y en peut avoir une plus grande, nous dirons que l’étendue des choses possibles est indéfinie [16]. » C’est en raison de l’identification cartésienne matière = étendue (rejetée par More) que l’application de l’indéfini au monde est possible. L’argument cartésien se résume finalement à ceci : « Il répugne à ma pensée, ou, ce qui est le même, il implique contradiction que le monde soit fini ou terminé, parce que je ne puis ne pas concevoir un espace au-delà des bornes du monde, quelque part où je les assigne ; or un tel espace est selon moi un vrai corps [17]. » L’imagination, qui est la faculté permettant de se représenter le corps, est ainsi « la faculté de l’indéfini [18] ».

d) Le monde n’a point de bornes, car des bornes impliqueraient le vide en leur autre côté, et le vide n’est pas :

"Ainsi il me semble qu’on ne peut prouver, ni même concevoir, qu’il y ait des bornes en la matière dont le monde est composé. Car, en examinant la nature de cette matière, je trouve qu’elle ne consiste en autre chose qu’en ce qu’elle a de l’étendue en longueur, largeur et profondeur, de façon que tout ce qui a ces trois dimensions est une partie de cette matière ; et il ne peut y avoir aucun espace entièrement vide, c’est-à-dire qui ne contienne aucune matière à cause que nous ne saurions concevoir un tel espace, que nous ne concevions en lui ces trois dimensions, et, par conséquent, de la matière. Or, en supposant le monde fini, on imagine au-delà de ces bornes quelques espaces qui ont leurs trois dimensions, et ainsi qui ne sont pas purement imaginaires, comme les philosophes les nomment, mais qui contiennent en soi de la matière, laquelle, ne pouvant être ailleurs que dans le monde, fait voir que le monde s’étend au delà des bornes qu’on avait voulu lui attribuer. N’ayant donc aucune raison pour prouver, et même ne pouvant concevoir que le monde ait des bornes, je le nomme indéfini" [19].

Cet argument original a une allure grecque, d’une part car il est similaire à celui que Mélissos de Samos opposa à Parménide [20], et d’autre part car il développe cette remarque d’Aristote, qui vise Platon : « L’infini se trouve donc être le contraire de ce qu’on dit : en effet, non pas ce en dehors de quoi il n’y a rien, mais ce en hors de quoi il y a toujours quelque chose, voilà l’infini [21]. » Chez Descartes, il trouve ses racines dans un texte du Monde [22]. Le vide, qui est ici abordé comme les limites du monde (de telle sorte que si Dieu a pu produire du vide, ce ne peut être qu’en dehors du domaine perçu par l’homme), et dont la négation constitue véritablement le nerf de la preuve, est nié par Descartes dans l’ensemble de son œuvre, reprenant ainsi un thème scolastique contre certains expérimentateurs, tels Evangelista Torricelli ou, plus tard, Pascal, qui à la même époque tentaient d’en démontrer l’existence. Dès le traité du Monde (chapitre IV) et jusque dans la seconde partie des Principes (art. 16-18), la négation du vide sera un locus communis dans l’œuvre de Descartes, qui n’y voit qu’une contradiction [23]. Signalons que More, logiquement, rejette la négation cartésienne du vide, par suite du rejet de l’identification de l’étendue et de la matière.

e) Le monde n’a point de bornes, car lui en attribuer contredirait la doctrine de l’immortalité de l’âme [24]. Cet argument, de nature psychologique, consiste donc en ceci : la finitude de l’univers impliquerait qu’il n’y ait ni autre demeure ni vie meilleure. Or cela contredit la doctrine de l’immortalité de l’âme. C’est donc que l’univers doit ne pas avoir de bornes.
Qu’ont montré ces cinq preuves ? À les regarder de près, non pas, à vrai dire, que le monde est infini, mais simplement qu’il peut et qu’il doit ne pas avoir de bornes. En outre, ne pas être de l’opinion de ceux qui veulent que le monde soit fini n’implique pas pour autant, chez Descartes, admettre l’hypothèse du monde infini. C’est précisément ce que n’avait pas compris Christine de Suède, qui objecta à Descartes, via Chanut, qu’il n’était pas possible d’« admettre l’hypothèse du Monde infini sans blesser la Religion chrétienne [25] ». Elle oubliait alors que, de la même manière qu’il prouve la non-finitude du monde, Descartes prouve aussi sa non-infinité.

2) Comment l’univers peut tout autant ne pas être infini

Que l’univers n’ait point de bornes, on ne peut pour autant en déduire qu’il soit infini, et même, on pourrait dès maintenant déduire son indéfinité, puisque « pour nous, en voyant des choses dans lesquelles, selon certains sens, nous ne remarquons point de limites, nous n’assurerons pas pour cela qu’elle soit infinies, mais nous les estimerons seulement indéfinies [26] ». Par ailleurs, et pour que j’en sois absolument certain, d’autres arguments m’interdisent de penser que l’univers puisse être infini.
L’un deux réunit l’infiniment grand et l’infiniment petit – qui est l’indéfinie divisibilité de la matière – dans le syllogisme suivant : l’étendue du monde est divisible. Or l’infini est indivisible. Donc l’étendue du monde n’est pas infinie. Pour l’instant, on retiendra cinq autres preuves : a) Si le monde était infini, il serait Dieu, et ce n’est pas le cas. b) Que je ne connaisse point de bornes au monde ne signifie pas qu’il n’en ait pas effectivement : car Dieu, lui, en conçoit peut-être. c) Et même, ces bornes seraient très certainement Dieu lui-même, son créateur, qui est nécessairement plus vaste que le monde. d) Quand bien même le monde serait infini selon son étendue, il ne le serait pas par sa puissance et son intelligence et ainsi ne le serait pas totalement. e) L’absence de bornes qui me semble être au monde n’est que dans mon esprit et non en lui.

a) Si le monde était infini, il serait Dieu, et ce n’est pas le cas. L’infini ne s’applique qu’à Dieu seul. Si donc le monde était infini, il ne serait pas seulement semblable à Dieu : il serait Dieu lui-même, ou plutôt, Dieu serait l’univers, Deus sive Natura. Or, ce n’est évidemment pas le cas, puisque Dieu est transcendant au monde et ne souffre aucune étendue [27]. Ainsi, du monde, « je n’oserais dire qu’il est infini, parce que je conçois que Dieu est plus grand que le monde, non à raison de l’étendue que je ne conçois point en Dieu, comme j’ai dit plusieurs fois, mais à raison de sa perfection [28] ».

b) Que je ne connaisse point de bornes au monde ne signifie pas qu’il n’en ait pas effectivement : car Dieu, lui, en conçoit peut-être. C’est ce qu’explique Descartes à Chanut et à Burman [29].

c) Car, en effet, que Dieu conçoive peut-être des limites au monde signifie aussi qu’il conçoive quelque chose de plus grand que le monde. Et, sur ce point, je peux moi-même assurer qu’il se conçoit lui-même plus grand que le monde, puisqu’il n’y a rien que je conçoive et que Dieu ne peut concevoir, et je conçois qu’il est plus grand que le monde [30]. C’est donc que le monde ne peut être infini, puisqu’il y a quelque chose de plus grand que lui.

d) Mais, parce qu’il en est ainsi non en raison de l’étendue mais de la perfection, je peux toujours prétendre que le monde est infini selon l’étendue. En outre, si le monde est peut-être infini en ce qui concerne son étendue, il ne l’est point par sa puissance ni son intelligence, et ainsi n’est pas totalement infini. C’est ce que Descartes répond à Mersenne, qui défend une cosmologie infinitiste [31].

e) L’absence de bornes qui me semble être n’est certainement que dans ma pensée et non dans la nature elle-même. Renversement de l’argument utilisé précédemment : de la même manière que les bornes qui me semblaient être ne l’étaient que dans mon esprit, l’absence de bornes, qui me semble être, ne l’est pas moins [32].
Ainsi, l’univers n’est ni fini ni infini : précisément, il est indéfini. Et cette notion est bien utile, comme en témoigne l’inconfort dans lequel se placera le cartésien Otto von Guericke, qui ne reprendra pas l’indéfini : il vivra difficilement d’être partagé entre la finitude et l’infinitude du monde, en appréciant d’une part l’infinité du monde pour la puissance de Dieu qu’elle signifie, c’est-à-dire pour le fait qu’à l’infinité divine doit correspondre l’infinité de créatures et de mondes possibles [33], mais concevant d’autre part comme une sorte d’impiété la hardiesse de poser l’existence hors de Dieu de quelque chose d’infini (Dieu seul doit être infini). Plutôt que de déclarer le monde indéfini, il tentera alors de faire coexister sa finitude et son infinitude en le limitant pour l’entourer d’un espace vide infini [34]. La notion de l’indéfini évite chez Descartes tant de complications, et est parfaitement compatible avec la négation du vide, qui constitue même l’une des preuves de sa réalité.

B. Selon le temps : la question de l’éternité du monde

Si l’indéfinité de l’univers s’exprime avant tout dans l’espace, la question du temps reste corollaire. Descartes ne lui accorde pas grande place : savoir si le monde est dans le temps ou dans l’éternité semble peu préoccuper notre auteur. L’explication de ce silence viendra dans l’Entretien, où il est dit comment Descartes a voulu éviter la question de l’éternité du monde :

Mais l’auteur, autant qu’il l’a pu, a veillé à écarter par avance de ses Méditations ce genre de questions, pour ne heurter d’aucune manière les maîtres de l’Ecole, etc. [35]. C’est aussi pourquoi, de l’éternité, Descartes ne reconnaîtra jamais que la foi que nous avons en elle, à travers la promesse de la vie éternelle [36].

On peut malgré tout retenir ceci. La distinction entre indéfini et infini s’étend à l’indéfini selon le temps en lui opposant le temps de l’infini, c’est-à-dire l’éternité. Aussi peut-on déjà affirmer, parce que le monde est indéfini et non infini, qu’il est dans le temps et non dans l’éternité. Cependant, ce temps reste indéfini, et est donc peut-être infini pour ce qui est de l’avenir : ignorer si le monde a des bornes spatiales signifie aussi ignorer s’il a des bornes temporelles. Et si nous pouvons néanmoins assurer que cette ignorance des bornes ne dissimule pas une éternité, c’est que l’éternité exigerait non seulement l’absence de fin, mais aussi l’absence de début [37], alors que le monde, si sa fin m’est indéterminée, a bel et bien un début, puisqu’il fut créé par Dieu, qui donc peut lui seul revendiquer l’éternité [38]. Et pour que la durée puisse commencer alors que ses moments sont indépendants les uns des autres, il faut ce que Pascal nommera une « chiquenaude » originelle.

D’un point de vue historique, on peut donc résumer l’originalité de la position cartésienne ainsi : alors que chez Aristote, parce qu’il est essentiel au premier moteur de mouvoir le monde, ce dernier existe de toute éternité, le christianisme, en voulant arracher Dieu à cette nécessité, lui laisse le choix du temps ou de l’éternité. Descartes chrétien, qui refuse de dissocier Dieu de sa propre volonté – puisque Dieu fait tout et est tout d’une unique action et nature – pourra soutenir, non que Dieu a jugé meilleur de créer dans le temps, mais que, parce que Dieu a créé dans le temps (créer impliquant par définition le temps par son début), c’est dans le temps que le monde doit être créé.
L’indéfinité de l’univers ne se manifeste pas seulement en tant qu’il est lui-même indéfini : au sein même du monde physique, l’indéfini est particulièrement remarquable dans la divisibilité de la matière. Après l’indéfiniment grand, reste à voir l’indéfiniment petit.

II- Indéfinité dans l’univers : l’indéfinie divisibilité de la matière et du temps, ou le problème de la continuité

Par facilité, le problème de l’indéfinie divisibilité de la matière est la plupart du temps nommé « infinie divisibilité de la matière ». Trois preuves nous permettent de penser qu’il ne s’agit pas moins de l’indéfini. D’abord, accepter l’indéfinie étendue du monde, au-delà de sa nomination parfois hasardeuse, implique d’emblée d’accepter que la divisibilité de la matière soit, elle aussi, indéfinie, puisque Descartes lui-même applique l’indéfini, d’une manière générale, aux deux : « Pour le reste, comme l’étendue du monde, le nombre des parties divisibles de la matière, et autres semblables, j’avoue ingénument que je ne sais point si elles sont absolument infinies ou non : ce que je sais, c’est que je n’y connais aucune fin, et à cet égard je les appelle indéfinies [39]. » Cela est confirmé par les textes eux-mêmes, du Monde aux Principes [40], en passant par la correspondance : « pour […] l’étendue du monde, le nombre des parties divisibles de la matière, et autres semblables, j’avoue ingénument que je ne sais point si elles sont absolument infinies ou non [41] » ; « que je ne puisse pas compter toutes les parties en quoi elle la matière est divisible, et que par conséquent je dise que leur nombre est indéfini [42] ».

À travers sa réfutation mathématique de l’Achille de Zénon, Descartes entend précisément montrer qu’il ne faut pas confondre, dans le mouvement, quantité divisible à l’infini et quantité infinie. Sa résolution du problème, en s’appuyant sur les suites géométriques convergentes (révélant du même coup combien Descartes raisonne en géomètre et définit le nombre par la mesure, en le liant à la quantité étendue) consiste effectivement en ceci : l’avance de la tortue, si sa vitesse est 1/10 de celle d’Achille, est 1/10 + 1/100 + 1/1000 +…(ainsi à l’infini) de l’avance initiale, c’est-à-dire 1/9 de celle-ci, ce qui n’est pas infini [43]. Il conclut alors que l’erreur de Zénon est de confondre quantité infinie et quantité simplement divisible à l’infini [44].

De la même manière, il faut maintenant distinguer l’infini lui-même, qui proprement ne s’applique qu’à Dieu et n’a donc pas sa place ici, du progrès à l’infini, qui signifie non pas qu’un état est actuellement infini mais seulement qu’une certaine activité, qui peut être la divisibilité de la matière comme le prolongement d’une droite, se répète sans jamais trouver de terme. L’infini dont on parle n’est pas le même dans les propositions « Dieu est infini » et « la divisibilité de la matière est infinie ». Alors que dire « Dieu est infini » signifie « Dieu est l’infini – infinita substantia » et engage par là l’être de Dieu, annoncer « la divisibilité de la matière est infinie » applique l’infinité non à un être, qui pourrait être la matière, mais à la seule propriété de cet être, en l’occurrence sa divisibilité, qui elle-même n’est rien, ontologiquement parlant. Dire de cette divisibilité qu’elle est infinie n’est rien d’autre que de dire qu’elle se fait, en principe, perpétuellement, c’est-à-dire sans fin connue de nous. Cela n’a rien à voir avec l’infini positif. La preuve en est que l’on parle simultanément de l’infini, qui est indivisible, et d’une infinie divisibilité : les deux utilisations de l’infini, pour ne pas être contradictoires, doivent nécessairement être différenciées. Et, parce que la première est l’infini lui-même, en différencier la seconde revient à dire que cette dernière ne peut pas désigner l’infini proprement dit.

Pour ces trois raisons, il ne faut pas douter que ce que Descartes désigne sous l’appellation « infinie divisibilité de la matière » n’est en fait que l’indéfinie divisibilité de la matière. Cela étant dit, il s’agit maintenant d’exposer, toujours en divisant selon l’espace et le temps, comment Descartes, dans le texte, parvient à une telle conclusion.

A. Selon l’espace

Selon l’espace, l’indéfinie divisibilité est celle de la matière. Après l’avoir démontrée de deux manières – par la voie négative, en réfutant l’existence des indivisibles, et par la voie affirmative, en montrant comment elle est déductible de la nature même du mouvement – Descartes montre finalement son incompréhensibilité.

1) Démonstration de l’indéfinie divisibilité de la matière par la réfutation des indivisibles

L’indéfinie divisibilité de la matière a pour condition l’acceptation d’un progrès à l’infini : les « autres […] admettent communément que non datur progressus in infinitum. Et moi, je ne l’admets pas ; au contraire, je crois que datur revera talis progressus in divisione partium materiae, comme on verra dans mon traité de philosophie, qui s’achève d’imprimer [45]. » Descartes montrera l’indéfinie divisibilité de la matière – qui n’est pas homogène [46] – par la réfutation des indivisibles, qui elle-même trouve deux expressions [47].

Premièrement, une démonstration par l’absurde : l’existence des indivisibles implique contradiction, en impliquant leur étendue, laquelle implique à son tour leur divisibilité. On pourrait donner une autre démonstration par l’absurde, encore plus élémentaire, non par l’étendue, mais par la seule pluralité : il implique même contradiction de parler des indivisibles. Cet argument, d’inspiration aristotélicienne [48], sera véritablement utilisé non par Descartes mais par Pascal, dans De l’esprit géométrique. Descartes, lui, donne sa preuve par l’étendue, qui consiste simplement à dire qu’« un atome ne peut jamais être conçu distinctement à cause que la seule signification du mot implique contradiction, à savoir d’être un corps et d’être indivisible [49] ». Il y consacre un article des Principes, intitulé « Qu’il ne peut y avoir aucuns atomes ou petits corps indivisibles [50] ». Sa démonstration se clôt toujours sur la déduction suivante : de ce que, par la pensée, je suis capable de diviser cette matière, je déduis qu’elle est, de fait, c’est-à-dire réellement, divisible. Et s’il en est ainsi, c’est parce que Dieu peut faire tout ce que j’imagine [51].

Deuxièmement, même s’il y avait des indivisibles-pour-l’homme, ils ne le seraient pas pour Dieu. Cet argument est construit sur le même modèle que deux des précédents touchant l’indéfinité de l’univers, à savoir, d’une part, que les bornes qui me semblent être ne sont certainement que dans ma pensée et non pas dans les œuvres de Dieu, et, d’autre part, réciproquement, que l’absence de bornes qui me semble être n’est elle-même certainement que dans ma pensée et non pas dans les œuvres de Dieu. Autrement dit, il est chaque fois question d’exploiter le gouffre infini qui sépare ma connaissance finie de l’omniscience divine, afin de pouvoir objecter que ce qui me semble être peut ne pas être, car ne pas être pour Dieu. Dans le cas présent, l’argument est utile ainsi : quand bien même je n’accepterais pas la démonstration par l’absurde contre les indivisibles et persévérerais donc à croire à leur existence, Descartes oppose que cette existence n’est que dans mon esprit. Pourquoi ? Tout simplement parce que Dieu ne peut pas ne pas avoir le pouvoir de diviser les indivisibles qu’il a lui-même produit, de telle sorte que ces indivisibles-pour-nous, ne peuvent être, pour lui, indivisibles, c’est-à-dire réellement indivisibles.
De cette manière, parce que Dieu, s’il avait produit des indivisibles, aurait produit simultanément leur divisibilité, les indivisibles ne sont jamais produits que par mon esprit et n’existent pas dans les choses elles-mêmes :

Quand même nous supposerions que Dieu eût réduit quelque partie de la matière à une petitesse si extrême qu’elle ne pût être divisée en d’autres plus petites, nous ne pourrions conclure pour cela qu’elle serait indivisible, parce que, quand Dieu aurait rendu cette partie si petite qu’il ne serait pas au pouvoir d’aucune créature de la diviser, il n’a pu se priver soi-même du pouvoir qu’il avait de la diviser, à cause qu’il n’est pas possible qu’il diminue sa toute-puissance, comme il a déjà été remarqué. C’est pourquoi nous dirons que la plus petite partie étendue qui puisse être au monde, peut toujours être divisée, parce qu’elle est telle de sa nature [52].

Le fait que ces indivisibles ne soient désormais plus que pour nous confirme l’indéfinité, et non l’infinité, de la division de la matière que nous leur opposons.
En reprenant cette preuve en 1649, Descartes introduit effectivement l’indéfini :

[B]ien que je ne puisse pas compter toutes les parties en quoi elle [la matière] est divisible, et que par conséquent je dise que leur nombre est indéfini, cependant je ne saurais assurer que Dieu ne puisse jamais terminer cette division, parce que je sais que Dieu peut faire plus que je ne saurais comprendre, et j’ai même avoué dans l’article 34 que cette division indéfinie de certaines parties de la matière devait arriver [53].

L’article 34 en question est celui de la deuxième partie des Principes, et l’on y trouve deux autres informations importantes : comment l’indéfinie divisibilité de la matière est liée au mouvement, et comment l’indéfinie divisibilité de la matière est incompréhensible. Voyons-les dans l’ordre.

2) Démonstration de l’indéfinie divisibilité de la matière par la nature du mouvement

L’article 34 prouve l’indéfinie divisibilité de la matière en s’appuyant sur l’article précédent, l’article 33, qui traite de la nature de mouvement. L’indéfinie divisibilité de la matière est déduite de la nature du mouvement. Comment ? Par l’intermédiaire de la théorie des tourbillons, qui à la fois explique la nature du mouvement et le décline en une indéfinité de mouvements circulaires : les mouvements, s’ils sont réels, sont à la fois circulaires et simultanés les uns par rapport aux autres. L’article 33 reprend effectivement la théorie des tourbillons exposées au chapitre IV du traité du Monde, pour la joindre à l’impénétrabilité de la matière, pour contraindre cette matière répartie dans des cercles concentriques à se diviser à chaque fois que le mouvement la fera passer d’un cercle à un autre plus petit, et ce à l’infini, puisque il y a une infinité de cercles de grandeurs décroissantes entre celui de départ et celui d’arrivée. Les lettres G et E citées dans l’article 34 font référence à deux cercles concentriques, E inclus dans G, et représentés par un dessin donné avec l’article 33. En bref, l’indéfinie divisibilité de la matière est ici sollicitée, dans la mesure où l’étranglement de l’anneau tourbillonnaire impose à la matière de se diviser à l’infini pour le franchir, « en compensant l’étroitesse du lieu par la vitesse plus grande de ses parties plus petites [54] ».

Il faut ici s’opposer à l’interprétation que M. Gueroult fait de la conception cartésienne du repos, qu’il croit pouvoir réduire à un mouvement infiniment lent, en s’appuyant sur les Principes, II, 44, le corps en repos ayant « un conatus doué d’un impetus infiniment petit [55] ». Le problème est que cette interprétation contredit l’irréductible positivité du repos, que Descartes défend non seulement dans le Monde [56], mais aussi dans trois articles des Principes (II, 26, 27 et 44). En ce qui concerne le couple mouvement/repos, Descartes se propose justement de lutter contre l’usage vulgaire qui définit négativement le repos et d’établir que le repos est conçu positivement ; de telle sorte que l’antagonisme mouvement/repos n’est pas celui d’une réalité et de sa négation, mais bien celui de deux forces, ou modes, contraires.
L’interprétation de Gueroult doit donc être rejetée : le repos ne peut être un « mouvement infiniment lent », car en faisant du repos un sous-ensemble du mouvement, on oublie tout l’enjeu du travail de Descartes. Mais cette réfutation a la fécondité de nous inviter plus loin à mettre en parallèle les couples mouvement/repos et fini/infini : on remarque effectivement, d’une part, que Descartes réhabilite la positivité du repos comme il réhabilite celle de l’infini et, d’autre part, que le repos pourrait fort bien être conçu comme une manifestation de l’infini, ou au moins de l’indéfini, puisqu’il semble bien impossible de trouver quelque borne à sa plénitude parfaitement entière – repos et infini ont en commun l’immuabilité. Il y aurait là de quoi pousser plus avant la réflexion.

3) Incompréhensibilité de l’indéfinie divisibilité de la matière

La fin de l’article 34, concluant sur des éloignements infiniment petits (« si petit que soit cet éloignement, il ne laisse pas d’être une vraie division »), n’a pas échappé à Leibniz, qui en parle dans ses Animadversiones  : admirant le texte en ce qu’il y voit les prémisses de l’infinitésimal, Leibniz déplore que Descartes n’ait pas suffisamment examiné l’importance de cette dernière conclusion. Sa déception est l’aveu qu’il n’y a pas, chez Descartes, d’infiniment petit actuel et positif, contrairement à ce que semble en penser Gueroult, lorsqu’il écrit : « ce mouvement instantané est conçu comme un mouvement élémentaire infiniment petit [57] » et renvoie, en note, aux articles 33 et 39 de la deuxième partie des Principes.

S’il en est ainsi, si Descartes n’a pas poussé plus avant la réflexion sur ce point, qui aurait pu le conduire à l’infinitésimal, c’est que celui-ci fait déjà problème dans la physique cartésienne, comme en témoigne le fait que l’auteur se soit senti obligé de faire suivre cet article d’un autre demandant d’accepter la division indéfinie de la matière en renonçant à la comprendre : l’indéfinie divisibilité de la matière est conçue sans être comprise. C’est d’ailleurs ainsi que commençait l’article 34 [58]. Et, comme pour encadrer la démonstration qui suit cette introduction non seulement d’un préventif, mais aussi d’un curatif, l’article 35 sera tout entier consacré à l’incompréhensibilité de l’indéfinie divisibilité de la matière : « Que nous ne devons point douter que cette division ne se fasse, encore que nous ne la puissions comprendre [59]. » Descartes enveloppe ainsi sa démonstration d’un voile de prudence, qui est une réponse imparable à la moindre objection qui pourrait lui être faite : l’indéfinie divisibilité de la matière s’acceptant sans se comprendre, elle n’exige pas que l’on en comprenne la démonstration.

Reconnaissant là l’un des signes de l’infini, certains profiteront de l’incompréhensibilité de l’indéfinie divisibilité de la matière pour nourrir la thèse commune selon laquelle l’indéfini ne serait qu’un infini. Mais il leur faudra contourner la difficulté suivante : l’incompréhensibilité n’est devenue le signe de l’infini qu’au sein d’un paradoxe qui l’opposait à la positivité [60]. C’est parce que l’infini a la particularité d’être simultanément incompréhensible et positif que l’incompréhensibilité et la positivité en sont venus à le désigner. Or, en ce qui concerne la divisibilité de la matière, et dans la faible mesure de mon esprit fini qui ne sait, à vrai dire, si la matière en question est ou non divisée jusqu’à l’infini, puisque l’infini lui est hors d’atteinte, il ne s’agit pas d’une division en acte et positive, puisqu’elle ne consiste, au contraire, qu’à être, pour moi, potentielle (divisibilité et non division) et négative (non finie). On ne saurait donc faire de l’incompréhensibilité de l’indéfinie divisibilité de la matière un quelconque argument en faveur de la réduction de l’indéfini à l’infini : il ne suffit pas à cette divisibilité d’être incompréhensible pour devenir infinie, il faudrait déjà qu’elle ne soit plus elle-même simple divisibilité pour moi, mais division en soi, et qu’elle me frappe, positivement, comme tel.

4) Sources et fécondité de l’anti-atomisme cartésien

Pour conclure sur l’anti-atomisme cartésien, voyons ce qu’il doit au passé, et ce que son originalité offre à l’avenir. L’infinie divisibilité de la matière est, on le sait, un thème scolastique classique, courant dans les traités de physique médiévaux [61], et notamment chez Suarez [62], que l’on peut souvent tenir pour un fiable prédécesseur de Descartes. Son cas est pourtant particulier, car en plus d’affirmer l’infinie divisibilité, c’est-à-dire le continu, de la matière [63], Suarez affirme aussi l’existence d’entités indivisibles : les points [64]. Cependant, comme le remarque Specht, « les indivisibles que Suarez admet ne sont pas identiques aux atomes que Descartes refuse [65] ». Ici intervient ce que Maier désigne comme les deux significations d’indivisibles au Moyen âge [66] : a) la conception de type démocritéenne, ou atomiste, selon laquelle les indivisibles, alors appelés atomes ou minima, sont des parties étendues. b) La conception de type platonicienne, selon laquelle les indivisibles sont les points qui constituent les lignes qui constituent les surfaces qui constituent – en empilement – les continus. Or les démonstrations de Descartes à l’encontre des indivisibles ne portent jamais que sur (a), la conception atomiste, puisque la démonstration consiste précisément à contester qu’un indivisible puisse être étendu tout en restant indivisible (puisque l’étendue, par définition, est divisible). Les indivisibles que Descartes réfute sont effectivement les atomes [67]. Aussi est-il, sur ce point, adéquat à Suarez qui refuse les indivisibles de quantité.

La question reste de savoir s’il partage la possibilité que Suarez laisse à l’indivisible d’être selon (b), la conception platonicienne, un simple point. En disant qu’« un indivisible ne peut avoir aucune longueur, largeur, ni profondeur [68] » Descartes ne conteste pas, selon Specht, que le point, qui n’a aucune de ces trois dimensions, puisse être dit indivisible. Pourtant, critiquant les Discorsi de Galilée, il se montre plus sceptique :

Page 40. Il dit que les corps durs, devenant liquides, sont divisés en une infinité de points : ce qui n’est qu’une imagination fort aisée à réfuter, et dont il ne donne aucune preuve […]. Page 48. Il fait considérer une ligne droite, décrite par le mouvement d’un cercle, pour prouver qu’elle est composée d’une infinité de points actu [69], ce qui n’est qu’une imagination toute pure [70].

Savoir si Descartes serait finalement d’accord avec Suarez revient à savoir s’il refuse la proposition de Galilée parce que les points sont considérés indivisibles, ou parce qu’ils sont considérés actu. Dans tous les cas, il est évident que Descartes reste proche de Suarez.

Où est donc son originalité ? D’abord, dans l’originalité de l’in-défini lui-même : dire que la divisibilité de la matière n’est pas infinie mais indéfinie introduit l’indétermination et le cogito d’une manière proprement cartésienne. Et ensuite, il faut souligner la hardiesse de Descartes d’être à la fois mécaniste (par l’influence de Beeckman dès sa jeunesse philosophique) et non-atomiste, dans un milieu dont la tendance était au contraire d’associer mécanisme et atomisme, comme Beeckman lui-même et Gassendi en sont des exemples.

Quant à la fécondité de l’anti-atomisme, on ne peut que constater, avec Nietzsche, et deux cents ans plus tard, combien cette doctrine fera école : « La théorie atomique de la matière est au nombre des choses les mieux réfutées qui soient et peut-être n’y a-t-il plus en Europe un seul savant assez ignare pour lui attribuer encore une sérieuse importance [71]. » On pourra tenir Descartes pour l’un de ceux qui fit avancer l’affaire. Et lorsque Leibniz s’écrie « quand j’étais jeune garçon, je donnais aussi dans le Vide et dans les Atomes ; mais la raison me ramena [72] », cette raison est probablement l’influence cartésienne. Descartes liait déjà le rejet des indivisibles à celui du vide – conformément au fait que les atomistes grecs que sont Leucippe, Démocrite et Epicure lient eux-mêmes atomes et vide en ce que les atomes sont précisément séparés par le vide – et pour avoir déduit du rejet des indivisibles l’indéfinie divisibilité de la matière et, du rejet du vide, l’indéfinie étendue du monde.

B. Selon le temps : le problème de la continuité du temps

Alors que, touchant l’indéfinité du monde, le temps était strictement corollaire de l’espace, pour ce qui est de l’indéfinité dans le monde, nous allons voir combien il s’en distingue et prend par cette indépendance une importance qu’il n’avait pas jusqu’alors. La différence se révèle lorsque l’on transpose le problème de la divisibilité en termes de continuité, ce qui est à première vue tout à fait légitime, puisqu’une divisibilité infinie est équivalente à une continuité [73], tandis qu’une divisibilité finie ne vaut qu’une discontinuité. Le problème commence avec la position de l’indéfini, qui n’est ni infini ni fini : une divisibilité indéfinie sera-t-elle autre chose qu’une continuité ou une discontinuité ? La traduction en termes de continuité et discontinuité contraint à discourir sur le monde, alors que la divisibilité ne faisait jamais état que d’une possible propriété de ce monde et, en tant qu’elle était alors indéfinie, elle restreignait cette possibilité à l’ego. L’inadéquation du passage de la divisibilité à la continuité permet d’affirmer simultanément deux assertions, l’une selon l’espace, l’autre selon le temps, qui paraissent contradictoires. Aussi Descartes supposait-il que, selon l’espace, l’indéfinité de la divisibilité de la matière laissait au moins une certitude : pour Dieu, c’est-à-dire en soi, il ne peut y avoir d’indivisibles, autrement dit, la matière ne peut être que continue.

Selon le temps, maintenant, nous allons voir que l’ambiguïté du texte cartésien permet à certains interprètes, dont Gueroult, de faire la synthèse du débat opposant discontinuistes et continuistes en défendant la simultanéité de la continuité et de la discontinuité du temps : continuité pour moi, mais discontinuité en soi. On obtiendrait alors le résultat inverse de celui de la matière, puisque l’en soi serait cette fois non continu mais, au contraire, discontinu. Ce paradoxe n’est pas une contradiction pour au moins deux raisons. D’abord, l’en soi des choses étant inaccessible à mon esprit fini, qui ne connaît rien des fins que Dieu s’est données, tout cela n’est jamais que supposition : Dieu peut faire que je me trompe et, le sachant, je n’énonce rien sur le monde avec l’assurance d’une assertion définitive. Ensuite, le temps n’est pas tenu d’être strictement aligné sur l’espace : rien n’empêche qu’il ait ses lois propres – c’est l’argument de Gueroult, qui montre que l’indéfinie divisibilité de la matière ne peut impliquer celle du temps, car le temps n’a pas le même statut de réalité créée que l’étendue. Alors que l’atome d’étendue aurait été une insolente résistance au Dieu summe potens, l’atome de temps ne le menace pas. Ce paradoxe ne ferait donc qu’honorer l’in-défini, qui me laisse sans cesse dans l’incertitude. Et, en contestant que le temps cartésien soit discontinu, pour soi comme en soi, tout en soutenant la seule apriorité de sa continuité, nous ne ferons qu’accentuer, et confirmer, l’in-défini dont il est ici question.

On trouve généralement, sur la question du temps chez Descartes, trois interprétations : le temps est discontinu [74], le temps est continu [75], le temps est continu pour nous mais discontinu en soi [76]. De ces trois propositions, en trois moments, nous rejetterons la première, accepterons la deuxième, et ne retiendrons de la dernière que sa première moitié. Voici donc la thèse : le temps cartésien n’est pas discontinu, mais continu, et cette continuité n’est jamais qu’un pour soi.

1) Contre la discontinuité

L’interprétation – à vrai dire peu visitée depuis les travaux, déjà anciens, de Wahl et Vigier – selon laquelle le temps cartésien serait discontinu, pourrait se défendre après une première lecture de quelques textes qui affirment que « le temps […] peut être divisé en une infinité de parties, chacune desquelles ne dépend en aucune façon des autres [77] », c’est-à-dire que le temps se divise en instants, et que ces instants, néants de durée, sont des indivisibles [78]. De l’indivisibilité de l’instant, les discontinuistes déduiront, entre autres, l’atomisme du mouvement et l’infini de la vitesse : bien que la durée, longueur mesurable [79], exclut le vide en elle, de telle sorte qu’il ne puisse y avoir d’intervalles faits de durée vide [80], Descartes, selon Gueroult, conçoit l’instant comme un indivisible, et fonde de cette manière l’atomisme du mouvement [81]. Et puisque l’instant ne peut diminuer, la vitesse devient infinie [82].

Mais le texte cartésien se montre beaucoup moins défini. L’enjeu d’une réfutation de la discontinuité du temps sera donc, pour nous, de rendre justice à l’indéfini lui-même : si, pour Gueroult, « cette indivisibilité absolue de l’instant requiert la divisibilité à l’infini de la matière », pour nous, et parce que nous avons montré comment la divisibilité de la matière n’est pas infinie mais indéfinie seulement, l’indivisibilité de l’instant ne sera pas absolue, et s’expose même aux précédentes objections cartésiennes.

La discontinuité du temps, basée sur la notion d’instant, est effectivement assez peu évidente. À l’instant comme indivisible on pourrait naturellement opposer la précédente démonstration par l’absurde par le biais de la pluralité, qui consiste à dire que l’instant ne peut être que seul, car les instants, s’ils sont, sont contradictoires, en exigeant que chaque intervalle qui distingue un instant d’un autre soit, lui aussi, un instant, et ainsi de suite à l’infini, par dichotomie, pour les intervalles de plus en plus petits, de telle sorte que les instants appellent finalement la continuité, conformément à sa définition aristotélicienne :

Je dis qu’il y a continuité, quand les limites par où les deux choses se touchent ne sont qu’une seule et même chose, et, comme l’indique le nom, tiennent ensemble ; or cela ne peut se produire quand les extrémités sont deux. Une telle définition montre que le continu se trouve dans les choses dont la nature est de ne faire qu’une lorsqu’elles sont en contact [83].

Jean Wahl est ainsi contraint de conclure son discontinuisme par l’infinitésimal [84], alors même que, d’une part, Descartes fuit l’infinitésimal [85] et, d’autre part, cette pensée de l’infinitésimal dessert bien mal le discontinuisme de Wahl en impliquant la continuité. C’est d’ailleurs pourquoi Gueroult, qui consacre la deuxième partie de son chapitre VI à « la discontinuité du temps », ne pose la pensée de l’infinitésimal en hypothèse que pour la réfuter, conscient du fait que « si Descartes avait conçu l’instant comme différentielle, quantité évanouissante de durée, la continuité du temps pourrait être affirmée [86] ». Kamiya, qui écrivait, lui aussi, que « l’idée d’une durée bornée, et […] l’idée “d’instants ponctuels en nombre actuellement infini” nous permette de concevoir la pensée de l’infinitésimal [87] », se restreint ensuite, dans une ultime conclusion, à ne plus parler de « minimum de durée », et se propose de le remplacer par le mot « moment » [88]. Là sont les difficultés des discontinuistes, pour faire reposer leur doctrine sur une notion fragile : l’instant.

2) Pour la continuité

À l’inverse, la position continuiste se déduit d’elle-même des textes cartésiens et frappe de bon sens l’esprit qui l’envisage. Nous donnerons, pour sa défense, cinq preuves différentes : a) par la théorie de la création continuée, b) par le principes d’inertie et d’identité en physique, c) par la finalité des mécanismes physiologiques en biologie, d) par la mémoire et, plus généralement, la pensée elle-même, et e) par la seule forme de la philosophie cartésienne.
a) Par la théorie de la création continuée. Lorsque Wahl écrit : « la création est continue parce que la durée ne l’est pas [89] », il semble oublier que la création est première par rapport à la durée, et non l’inverse, puisque la durée ne peut être que celle du créé. Aussi, parce que ce qui est second ne peut être condition de ce qui est premier, peut-on d’un même mouvement rejeter et renverser sa proposition : bien plutôt, la création étant condition de la durée, la durée est continue parce que la création l’est. L’argument le plus évident pour défendre la continuité face à la discontinuité est effectivement la théorie de la création continuée elle-même, qui ne consiste pas à recréer le monde à chaque instant, mais, comme l’indique son nom, à le continuer. Lorsque Descartes écrit, au sujet de Dieu, « puisqu’il a mû en plusieurs façons différentes les parties de la matière, lorsqu’ils les a créées, et qu’il les maintient toutes en la même façon et avec les mêmes lois qu’il leur a fait observer en leur création, il conserve incessamment en cette matière une égale quantité de mouvement [90] », il distingue bien la création originelle de la maintenance postérieure et précise combien cette maintenance se fait « incessamment », c’est-à-dire sans jamais cesser, fût-ce entre des instants aussi courts que l’on voudra. Aussi la théorie de la création continuée, qui entend création comme conservation, puisque « la conservation et la création ne diffèrent qu’au regard de notre façon de penser [91] », présuppose-t-elle que le temps dans lequel se fait cette conservation soit lui-même continu : parce que, au sujet de la nature, « Dieu continue de la conserver en la même façon qu’il l’a créée [92] » et, même, plus généralement, « Dieu conserve chaque chose par une action continue [93] », on peut assurer qu’il conserve le temps lui-même par une action continue et en déduire la continuité du temps.
Gueroult défend une interprétation différente.

Il y a donc deux points de vue pour considérer le temps (et le mouvement). Il y a d’abord le point de vue concret et réel, qui est celui de la création de l’existence ou de la cause. On a affaire alors, non plus à la durée comme donnée, mais à une répétition d’instants créateurs indivisibles, discontinus. Il y a ensuite le point de vue abstrait et imparfait de l’existence créée, qui est celui de l’effet, où la durée se présente comme une chose indéfiniment divisible et continue [94].

D’où il infère qu’« il n’est nullement contraire à la langue et au bon sens de nier la continuité du temps, en affirmant la création continuée […] Enfin, la continuation n’est pas synonyme de continuité, car elle peut se faire par répétition du discontinu [95]. » La théorie de la création continuée signifierait ainsi non pas continuité, mais seulement continuation, et pourrait de cette manière être la continuation d’un discontinu.
Mais cette esquive est encore bien faible, car la création cartésienne, entendue comme conservation, et précisée « incessante », interdit que la continuation puisse dissimuler un discontinu. Comme le rappelle Frankfurt, contre ceux (Gilson ou Gueroult) qui pensent que la création continuée implique la discontinuité du temps, il suffit finalement de regarder les mots de Descartes pour comprendre combien la théorie de la création continuée ne peut impliquer que le continu : « il n’y aurait pas lieu d’affirmer que l’activité divine de conservation relève de la création continuée, si l’existence du monde créé n’était pas elle-même continue. Si l’existence temporelle était discontinue, pourquoi une activité continue serait-elle requise pour la conserver ? [96]. » Par la théorie de la création cartésienne, précisée continuée, la continuité du temps se donne d’elle-même : elle est évidente.

b) Par les principes d’inertie et d’identité en physique. La théorie de la création continuée conditionne la physique cartésienne elle-même, sur la question de la continuité, fondamentale au chapitre VII du traité du Monde, qui s’exprime à travers l’équivalence des principes d’inertie et d’identité [97]. C’est pourquoi « une pierre continue de se mouvoir [98] » quand on la lance, car Dieu « leur fait toujours continuer la même chose [99] ». Dans un tel contexte, et parce que le mouvement implique l’espace et le temps, la continuité physique présuppose celle du temps. Ou encore, dans la mesure où le temps est, avec l’espace, la condition du mouvement, la continuité du temps règle l’ensemble de la physique cartésienne, en tant que science du mouvement.

c) Par la finalité des mécanismes physiologiques en biologie. Grimaldi propose un argument original, en corollaire de la physique, par la biologie : la finalité des mécanismes physiologiques implique la continuité du temps [100]. Voici la preuve. Descartes refuse la finalité en physique [101] mais semble l’admettre en physiologie : l’usage des organes relève de leur utilité, ils ont une fonction propre [102], de telle sorte que le corps lui-même peut être comparé à une montre ou un automate [103]. Comment déduire de la finalité physiologique la continuité du temps ? C’est que, les organes étant déterminés à une fonction propre, on peut assurer qu’ils produiront ce mouvement dans un temps à venir, et donc que le temps qui les lie à ce devenir ne peut être que continu, puisque la nécessité de la finalité exclut que l’on puisse, ne serait-ce qu’un instant, douter du devenir du mouvement en question, c’est-à-dire douter que le présent se continue dans l’avenir. On regrettera que Grimaldi n’ait pas davantage exploité cette preuve originale.

d) Par la mémoire et, plus généralement, la pensée. Alors que la preuve par le finalisme des mécanismes physiologiques posait la continuité du temps par le fait que le présent se continue dans l’avenir, la preuve par la mémoire, elle, posera cette même continuité du temps par le fait que le passé se continue dans le présent. Le temps, de cette manière, est continu car, par transitivité, il se continue du passé à l’avenir. La mémoire elle-même constitue effectivement une preuve de la continuité du temps. Comment le souvenir pourrait-il dépendre « des vestiges qui demeurent dans le cerveau [104] » si le temps n’était pas continu ? Le fait que le souvenir se sache souvenir, c’est-à-dire reconnaisse d’emblée son statut de présent en rapport au passé, fait de lui une manifestation du continu : « Quand je pense que je suis maintenant, et que je me ressouviens outre cela d’avoir été autrefois, […] alors j’acquiers en moi l’idée de la durée [105]. » Et, ajoute Beyssade, « cette expérience d’une rupture entre passé et présent ne me fait pas accéder au temps, j’y ai toujours baigné [106] ». C’est précisément parce que le temps m’est intime, en tant que cogito, que sa continuité ne s’exprime pas seulement dans la mémoire, mais aussi, plus généralement, par la seule persistance de l’ego cogitans : comment Descartes pourrait-il dire qu’il est « évident que c’est moi qui doute, qui entends, qui désire […] et le même qui sens [107] » si le temps n’était pas un liant continu, condition de la continuité de la pensée ?

e) Par la seule forme de la philosophie cartésienne. Gueroult écrit : « le problème de la discontinuité ou de la continuité du temps ne peut se résoudre par l’appel à des citations dispersées, mais par référence à l’ensemble de la conception cartésienne du mouvement [108] ». Plus largement, on ajoutera, avec Grimaldi : par référence à l’ensemble de la philosophie cartésienne elle-même. La seule forme de la philosophie cartésienne, qui est celle d’un projet, et sa pratique, celle d’une tâche infinie – « Infinitum quidem opus est, nec unius [109] » – supposent la continuité du temps pour se développer, comme une « continuelle et régulière progression [110] ». Grimaldi ajoute que « le thème de la méthode est solidaire d’une conception linéaire et continue du temps [111] » et cite en exemple ce passage de la première partie du Discours : « J’ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j’ai moyen d’augmenter par degrés ma connaissance, et de l’élever peu à peu au plus haut point, auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d’atteindre [112]. » On pourrait s’étonner que, si la linéarité est ici indubitable, la continuité le soit bien moins : peut-on en effet qualifier de continue une progression « par degrés » ?

D’une manière générale, les exemples donnés par Grimaldi au début de son article tendent davantage à établir la linéarité du temps que sa problématique continuité. Et s’il en est ainsi, c’est que Grimaldi mêle deux utilisations du terme « temps » dans la philosophie de Descartes et qu’il faudrait pourtant distinguer : le temps comme concept physique, celui du Monde et des Principes, et le temps comme vécu quotidien de l’auteur, utilisé souvent au détour d’une phrase, à travers des expressions dont l’usage intensif a épuisé le sens, telles qu’« avoir le temps » ou « employer le temps à » [113], ce qui permet une bien médiocre précision. Il aurait donc ici fallu distinguer, comme Descartes lui-même le fait souvent, entre l’usage ordinaire ou commun et l’usage philosophique ; exactement comme Grimaldi reconnaît lui-même, un peu plus bas, dans une note, qu’il faut distinguer la « lettre » du « concept » [114].

3) Apriorisme de la continuité du temps

Reprenons, pour conclure, la thèse de Gueroult :

Il y a donc deux points de vue pour considérer le temps (et le mouvement). Il y a d’abord le point de vue concret et réel, qui est celui de la création de l’existence ou de la cause. On a affaire alors, non plus à la durée comme donnée, mais à une répétition d’instants créateurs indivisibles, discontinus. Il y a ensuite le point de vue abstrait et imparfait de l’existence créée, qui est celui de l’effet, où la durée se présente comme une chose indéfiniment divisible et continue [115].

Le point de vue de l’en soi, qui selon Gueroult pencherait en faveur de la discontinuité, est celui de Dieu. Or nous avons montré, notamment par la théorie de la création continuée, comment Dieu ne fait pas le temps discontinu, mais continu, pour pouvoir conserver les créatures, et non les recréer à chaque instant. C’est donc que, même du côté de l’en soi, la discontinuité ne peut être acceptée.
Dès lors, parce que, d’une part, la continuité a été démontrée et que, d’autre part, ce serait trop présumer de moi-même que de prétendre connaître la nature du temps tel que Dieu a voulu qu’elle soit, je ne peux que conclure, d’une part, sur la continuité du temps cartésien et, d’autre part, sur la relativité (pour moi) et l’apriorité (en moi) de la continuité en question. Descartes écrit effectivement que la durée n’est qu’un mode ou une façon d’être, à savoir la façon dont nous considérons : « au lieu de mêler dans l’idée que nous avons ce qui appartient proprement à l’idée de la substance, nous pensons seulement que la durée de chaque chose est un mode ou une façon dont nous considérons cette chose en tant qu’elle continue d’être [116] ». Kamiya poursuit : « En ce sens, on dira que le temps est une mesure de la durée et que cette mesure ne se trouve que dans notre pensée […] par conséquent, le temps serait ma pensée durante [117]. » Et l’apriorité du temps, qui anticipe de manière flagrante le temps comme intuition pure a priori de l’esthétique transcendantale kantienne, implique l’apriorité de sa continuité. C’est pourquoi les discontinuistes de l’en soi ont pu soutenir, avec Gueroult, une interprétation cinématographique – d’origine bergsonienne [118] – de la continuité, en la relativisant à n’être qu’un « effet » de l’esprit [119], traduisant la répétition continuelle des créations discontinues en une continuité, de manière comparable au rôle de la persistance rétinienne au cinéma. Mais, dans notre cas, l’abandon de la discontinuité et, plus généralement, de toute prétention aux fins que Dieu s’est fixé, laisse en suspens la question de savoir si la continuité, qui est en nous, est aussi dans le temps tel que Dieu l’a voulu. C’est justement pourquoi, la certitude étant ôtée, la continuité se souvient être une divisibilité alors précisée comme indéfinie.

[1] . Voir Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La véritable nature de l’indéfini cartésien », Revue de métaphysique et de morale, 2008-4, p. 501-513. Voir aussi « Descartes. L’infinitude de ma volonté, ou comment Dieu m’a fait à son image », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 92-2, 2008, p. 287-312 et « Le paradoxe de l’infini cartésien », Archives de philosophie, 72-3, 2009, p. 1-25.

[2] . Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La prudence de Descartes face à la question de l’infini en mathématiques », Philosophiques, 34-2, 2007, p. 295-316.

[3] . Pascal, De l’esprit géométrique ; in Œuvres de Pascal, L. Brunschvicg, P. Boutroux et F. Gazier (dir.), Paris, Hachette, 1908-1914, réimp. Kraus Reprint, Nendeln, 1976-1978, t. IX, p. 258. Il fait probablement allusion au chevalier de Méré.

[4] . Descartes, en identifiant matière et étendue, nie les « espaces imaginaires » scolastiques, espaces qui entouraient le monde clos, et dont il se moque déjà dans Le Monde VI, AT XI 31-32 ; in Œuvres philosophiques, F. Alquié (dir.), Paris, Bordas, t. I (1988), t. II (1989), t. III (1992), ici t. I, p. 343 (dans les citations suivantes nous ne renvoyons qu’au tome et à la page de cette édition).

[5] . À Mersenne, du 18 décembre 1629, AT I 86.

[6] . À Regius, du 24 mai 1640, AT III 64, souligné par nous.

[7] . À Élisabeth, du 06 octobre 1645, AT IV 315 ; t. III, p. 618.

[8] . À Beeckman, du 17 octobre 1630, AT I 158 ; t. I, p. 273-274.

[9] . Principes III, 1, AT IX-2 103 ; t. III, p. 221-222.

[10] . Principes III, 2, AT IX-2 104 ; t. III, p. 222.

[11] . À More, du 5 février 1649, AT V 274 ; t. III, p. 882-883.

[12] . Voir F. Monnoyeur, « Henry More : plaidoyer pour un espace infini et divin », in F. Monnoyeur (dir.), Infini des philosophes, infini des astronomes, Paris, Belin, 1995, p. 77-92.

[13] . Le Monde VI, AT XI 32 ; t. I, p. 344.

[14] . Lettera a Francesco Ingoli (in Opere di Galileo Galilei, Edizione Nationale, vol. 6, p. 509-61), p. 530, traduction de M. Lerner.

[15] . À More, du 15 avril 1649, AT V 344 ; t. III, p. 910-911.

[16] . Principes I, 26, AT IX-2 36 ; t. III, p. 107-108. Voir aussi Principes II, 21, AT IX-2 74.

[17] . À More, du 15 avril 1649, AT V 345 ; t. III, p. 912. Voir aussi à More, du 5 février 1649, AT V 274-275 ; t. III, p. 882-883, et à Arnauld, du 29 juillet 1648, AT V 224.

[18] . F. Monnoyeur, « L’infini et l’indéfini dans la théorie cartésienne de la connaissance », in F. Monnoyeur (dir.), Infini des mathématiciens, infini des philosophes, Paris, Belin, 1992, p. 90. Une analyse comparable sur Spinoza est effectuée par M. Gueroult, « La lettre de Spinoza sur l’infini », Revue de métaphysique et de morale, 1966, p. 390.

[19] . À Chanut, du 6 juin 1647, AT V 52 ; t. III, p. 737-738. Voir aussi à More, du 15 avril 1649, AT V 345 ; t. III, p. 912.

[20] . Voir les fragments de Parménide et de Mélissos, respectivement p. 233-272 et 296-315 du recueil Les Présocratiques, éd. de J.-P. Dumont, Paris, Gallimard, 1988. Aristote cite l’affaire dans Physique, 185ab, 207a15. Pour un commentaire historique sur l’infini chez les présocratiques, voir T. G. Sinnige, Matter and Infinity in the Presocratic Schools and Plato, Assen, Van Gorcum, 1968 et L. Sweeney, Infinity in the Presocratics : a Bibliographical and Philosophical Study, The Hague, Nijhoff, 1972, p. 124-135.

[21] . Aristote, Physique, III, 6, 206b-207a, op. cit., t. I, p. 105-106. Voir aussi, Physique, III, 4, 203 b 25, ibid., t. I, p. 97.

[22] . Le Monde VI, AT XI 32.

[23] . Au marquis de Newcastle, d’octobre 1645, AT IV 329, et à Arnauld, du 29 juillet 1648, AT V 224.

[24] . À Élisabeth, du 15 septembre 1645, AT IV 292.

[25] . Chanut à Descartes, du 11 mai 1647, AT V 20-21.

[26] . Principes I, 26, AT IX-2 36 ; t. III, p. 107-108.

[27] . À More, du 5 février 1649, AT V 275.

[28] . À More, du 15 avril 1649, AT V 344 ; t. III, p. 910-911.

[29] . À Chanut, du 6 juin 1647, AT V 52 et Entretien avec Burman, AT V 167.

[30] . À More, du 15 avril 1649, AT V 344.

[31] . À Mersenne, du 31 décembre 1640, AT III 273.

[32] . Principes I, 27, AT IX-2 37 ; t. III, p. 108.

[33] . Otto von Guericke, Experimenta nova Magdeburgica de vacuo spatio 1672, VII, 5, p. 242.

[34] . Ibid., II, 6, p. 61-62 et 9, p. 65.

[35] . Entretien avec Burman, AT V 156.

[36] . À Chanut, du 6 juin 1647, AT V 53. Voir aussi Entretien avec Burman, AT V 155.

[37] . N. Grimaldi, « La dialectique du fini et de l’infini dans la philosophie de Descartes », Revue de métaphysique et de morale, 1969, p. 33.

[38] . À Chanut, du 6 juin 1647, AT V 53.

[39] . À More, du 5 février 1649, AT V 274 ; t. III, p. 882.

[40] . Le Monde III, AT XI 12 et Principes I, 26, AT IX-2 36.

[41] . À More, du 5 février 1649, AT V 274, t. III, p. 882.

[42] . Ibid., AT V 273, t. III, p. 881-882.

[43] . À Clerselier, de juin ou juillet 1646, AT IV 445-447 et à Mersenne, du 7 septembre 1646, AT IV 499-500. Cette solution classique sera reprise, entre autres, par Mill, An Examination of Sir W. Hamilton’s Philosophy, and of the Principal Philosophical Questions discussed in his Writings, London, 1865.

[44] . À Clerselier, de juin ou juillet 1646, AT IV 445-447.

[45] . À Mesland, du 2 mai 1644, AT IV 112-113 ; t. III, p. 70. Le traité en question est bien entendu les Principia Philosophiae de 1644.

[46] . Voir lettre à Vorstius du 19 juin 1643, AT III 686.

[47] . Descartes réfute les indivisibles du père Lacombe non seulement en tant qu’indivisibles mais aussi en tant que ceux-ci sont dotés d’« inclinations » que l’on ne saurait trouver que dans l’entendement, et conteste ainsi que l’on puisse donner une dimension ontologique, c’est-à-dire faire des monades, à des unités minimales qui déjà physiquement ne sont pas admises (à Mersenne, du 28 octobre 1640, AT III 213).

[48] . Dans Physique IV, 208 b 22, Aristote montre que le point n’a pas de lieu. De cette manière, il ne peut y avoir plusieurs indivisibles, dont la pluralité exigerait que chacun d’entre eux ait un lieu distinct. Bergson, dans sa thèse latine de 1889, expliquera comment un point indivisible ne peut en aucune manière être contenu ou entouré, puisqu’il ne saurait être touché par quelque autre chose sans s’y mêler aussitôt (L’idée de lieu chez Aristote, in Les études bergsoniennes, Paris, Albin Michel, 1949, vol. II, p. 27-104).

[49] . À Mersenne, du 30 septembre 1640, AT III 191, et à Gibieuf, du 19 janvier 1642, AT III 477.

[50] . Principes II, 20, AT IX-2 74 ; t. III, p. 165.

[51] . À Mersenne, du 28 octobre 1640, AT III 213-214.

[52] . Principes II, 20, AT IX-2 74 ; t. III, p. 165-166. Voir aussi à Gibieuf, du 19 janvier 1642, AT III, 477.

[53] . À More, du 5 février 1649, AT V 273 ; t. III, p. 881-882.

[54] . M. Gueroult, « La lettre de Spinoza sur l’infini », op. cit., p. 407.

[55] . M. Gueroult, « Métaphysique et physique de la force chez Descartes et chez Malebranche », Revue de métaphysique et de morale, 1954, p. 34.

[56] . Le Monde VII, AT XI 40.

[57] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, t. I, « L’Ame et Dieu », Paris, Aubier-Montaigne, 1953, p. 281.

[58] . Principes II, 34, AT IX-2 82.

[59] . Principes II, 35, AT IX-2 83 ; t. III, p. 182.

[60] . Voir notre article « Le paradoxe de l’infini cartésien », op. cit.

[61] . Conimb., 3, 8, I, I et 3.

[62] . Voir R. Specht, « Aspects ‘cartésiens’ de la théorie suarezienne de la matière », in O. Depré et D. Lories (dir.), Lire Descartes aujourd’hui, Louvain, Peeters, 1997, p. 33-40.

[63] . Commentaria ac disputationes in tertiam partem D. Thomae : De Sacramento Eucharistiae, qu. 74, a. 2, n. 2 ; 21, 796ab ; in Opera omnia 21.

[64] . Les points sont indivisibles, les lignes ne le sont qu’en une dimension, et les surfaces le sont en deux : Disputationes Metaphysicae 40, s. 5, n. 2 ; 26, 551b.

[65] . R. Specht, op. cit., p. 36.

[66] . Voir A. Maier, Die Vorlaüfer Galileis im 14. Jahrhundert. Studien zur Naturphilosophie der Scholastik, Rome, Edizioni di Storia e letteratura, 1966, p. 160-161 et 171-172.

[67] . Les Météores, AT VI 238-239 ; t. I, p. 726.

[68] . À Mersenne, du 28 octobre 1640, AT III 213 ; t. II, p. 270.

[69] . Dans la première journée des Discorsi, Galilée affirme effectivement qu’une ligne finie est constituée d’une infinité d’indivisibles. Voir M.-C. Caramatie et J.-P. Clero, « Quelques paradoxes de l’infini chez Galilée », in Divers aspects de l’infini en mathématiques et en philosophie, Cahiers pédagogiques de philosophie et d’histoire des mathématiques, ministère de l’Éducation nationale, académie de Rouen, 1989-1990, fascicule 1, p. 87-91.

[70] . À Mersenne, du 11 octobre 1638, AT II 382-384 ; t. II, p. 93-94.

[71] . F. Nietzsche, Par delà le bien et le mal, trad. par G. Bianquis, Paris, Aubier, §12, p. 41 et Œuvres philosophiques complètes, éd. de G. Colli et M. Montinari, trad. par J. Hervier, Paris, Gallimard, 1970, t. VII, p. 31.

[72] . G. W. Leibniz, Die Philosophischen Schriften von Gottfried Wilhelm Leibniz, édition de C. D. Gerhardt, réed. Georg Olms Hildeshein, 1960, t. VII, p. 377.

[73] . Ainsi qu’en témoigne la définition du corps continu dans le Discours IV, AT VI 36.

[74] . J. Wahl, Du rôle de l’idée de l’instant dans la philosophie de Descartes, Paris, Vrin, 1920 et J.-P. Vigier, « Les idées de temps, de durée et d’éternité chez Descartes », Revue philosophique de la France et de l’étranger, pp. 196-233 et 322-348.

[75] . J. Laporte, Le rationalisme de Descartes, Paris, PUF, 1945 ; J.-M. Beyssade, La philosophie première de Descartes, Paris, Flammarion, 1979 ; H. G. Frankfurt, « Création continuée, inertie ontologique et discontinuité temporelle », Revue de métaphysique et de morale, 1987, p. 455-472 ; N. Grimaldi, Etudes cartésiennes : Dieu, le temps, la liberté, Paris, Vrin, 1996.

[76] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, op. cit.

[77] . Méditation III, AT IX-1 39. Voir aussi Principes I, 21, AT IX-2 34.

[78] . « L’indivisible est un véritable zéro d’étendue » (Pascal, De l’esprit géométrique, in Œuvres de Pascal, op. cit., t. IX, p. 267. On notera au passage que le zéro chez Pascal est zéro de quelque chose, tout comme, chez Aristote, l’infini est infini de quelque chose). Et, parce que l’indivisible appelle l’infini, Lévinas pourra ajouter : « Le néant de l’intervalle – un temps mort – est la production de l’infini » (Totalité et infini, La Haye, Nijhoff, 1961, p. 260).

[79] . Voir à Mersenne, du 11 mars 1640, AT III 36.

[80] . Voir les lettres de More à Descartes du 5 mars 1649 et de Descartes à More du 15 avril 1649.

[81] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, op. cit, p. 282. Ce que l’on appelle « atomisme du mouvement » est lié à la théorie des tourbillons dont nous parlions ci-dessus, comme le montre bien l’explication de J. Vuillemin, Mathématiques et métaphysique chez Descartes, Paris, PUF, 1960, p. 67.

[82] . Ibid., p. 283.

[83] . Aristote, Physique, V, 3, 227 a 10, op. cit., t. II, p. 19.

[84] . J. Wahl, op. cit., p. 18.

[85] . Voir notre article « La prudence de Descartes face à la question de l’infini en mathématiques », op. cit.

[86] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, op. cit, p. 274.

[87] . M. Kamiya, La théorie cartésienne du temps, Tokyo, Librairie-édition France Tosho, 1982, p. 135.

[88] . Ibid.

[89] . J. Wahl, op. cit. p. 18.

[90] . Principes II, 36, AT IX-2 84 ; t. III, p. 184.

[91] . Méditation III, AT IX-1 39 ; t. II, p. 450.

[92] . Le Monde VII, AT XI 37 ; t. I, p. 349-350.

[93] . Le Monde VII, AT XI 44 ; t. I, p. 359.

[94] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, op. cit, p. 275.

[95] . Ibid., p. 284-285.

[96] . H. G. Frankfurt, op. cit., p. 470. On trouve une réaction similaire, contre le fait que la théorie de la création continuée puisse impliquer la discontinuité du temps, dans R. T. W. Arthur, « Continuous Creation, Continuous Time : A Refutation of the Alleged Discontinuity of Cartesian Time », Journal of the History of Philosophy, 1988, p. 349-375.

[97] . Le Monde VII, AT XI 38 ; t. I, p. 351.

[98] . Ibid., AT XI 41 ; t. I, p. 354.

[99] . Ibid., AT XI 43 ; t. I, p. 357.

[100] . Voir N. Grimaldi, Études cartésiennes, op. cit., p. 70-71.

[101] . Voir Méditation IV, AT IX-1 44 ; Réponses aux cinquièmes objections, AT VII 375 ; Principes I 28, AT IX-2 37 ; à Hyperaspistes, d’août 1641, AT III 431.

[102] . Voir L’Homme, AT XI 140, AT XI 142, AT XI 155-156, AT XI 156, AT XI 440 ; La Dioptrique, AT VI 130 ; Discours V, AT VI 53 ; Passions de l’âme II, 52, AT XI 372 ; Passions de l’âme II, 74, AT XI 383 ; Passions de l’âme II, 137, AT XI 429.

[103] . Passions de l’âme I, 6, AT XI 331.

[104] . À Mesland, du 2 mai 1644, AT IV 114 ; t. III, p. 71. Voir aussi à Hyperaspistes, d’août 1641, AT III 425, et à Arnauld, du 29 juillet 1648, AT V 219-220.

[105] . Méditation III, AT IX-1 35.

[106] . J.-M. Beyssade, La philosophie première de Descartes, op. cit., p. 352.

[107] . Méditation II, AT IX-1 22-23 ; t. II, p. 421.

[108] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, op. cit, p. 274.

[109] . À Beeckman, du 26 mars 1619, AT X 157.

[110] . N. Grimaldi, Études cartésiennes, op. cit., p. 66.

[111] . Ibid.

[112] . Discours I, AT VI 3, t. I, p. 570.

[113] . N. Grimaldi cite « J’ai résolu de n’employer le temps qui me reste à vivre à autre chose qu’à tâcher d’acquérir quelque connaissance de la nature… » (Discours VI ; AT VI 78 ; t. I, p. 649), Études cartésiennes, op. cit., p. 68.

[114] . Ibid., p. 73, n. 6.

[115] . M. Gueroult, Descartes selon l’ordre des raisons, op. cit, p. 275.

[116] . Principes I, 55, AT IX-2 49 ; t. III, p. 125.

[117] . M. Kamiya, op. cit., p. 132.

[118] . Voir H. Bergson, L’évolution créatrice, Paris, F. Alcan, 1907.

[119] . M. Kamiya, op. cit., p. 129.

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